"Entre les désirs
et leurs réalisations s'écoule toute la vie humaine. le désir,
de sa nature, est souffrance; la satisfaction engendre bien vite
la satiété; le but était illusoire; la possession lui enlève
son attrait; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec
lui le besoin; sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis
plus rudes encore que le besoin. Quant le désir et la
satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop
longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l'un et
de l'autre, descend à son minimum; et c 'est là la plus heureuse
vie. Car il est bien d'autres moments, qu'on nommerait les plus
beaux de la vie, des joies qu'on appellerait les plus pures; mais
elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs
désintéressés de ce monde; c'est la connaissance pure, pure de
tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique;
encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des
aptitudes bien rares; elles sont donc permises à bien peu, et,
pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe; au
reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure,
qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du
vulgaire plus grossier, et fait d'eux, en somme, des solitaires au
milieu d'une foule toute différente d'eux; ainsi se rétablit l'équilibre.
Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure
intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressés
le dépasse; ils sont réduits au simple vouloir."
Schopenhauer,
Le monde comme volonté et comme représentation.
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= Pourquoi,
lorsqu'on se retourne sur sa vie, la plupart du temps on ne
voudrait pas la revivre, comme si les périodes de
souffrance et d'ennui l'emportaient largement sur des
instants de brèves satisfaction et dans le meilleur des cas
quelques-unes de ces joies qui accompagnent la contemplation
esthétique et la recherche désintéressée de la vérité,
ces joies n'appartenant qu'à un petit nombre.
Si par le
désir nous sommes manque permanent et douleur d'une part et
d'autre part insatiables, comment pourrions-nous échapper
à cette condition réelle autrement que par un rêve ou un
effort pour nous hausser à une connaissance
désintéressée, à la contemplation de la beauté, ce qui
nous arracherait pour un instant au vouloir vivre qui nous
taraude et nous transperce?
Notre temps n'est-il pas celui du désir ou de l'ennui: dans
les deux cas, le temps de la souffrance. Ainsi selon
Schopenhauer, nous oscillerions, comme un balancier, entre
la privation et son cortège de souffrance et l'écœurement
de la satiété.
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= Lisons
le texte ensemble:
Notons tout d'abord que le désir est une soif, un manque
éprouvé qui ne saurait être pleinement rassasié, alors que le
besoin est une faim qui nous attache à la nécessité.
entre: balancée
entre les deux, du désir à l'ennui et de l'ennui au désir.
toute:
sans exception
s'écoule:
soumise à la violence du temps
désir:
manque éprouvé, insatiable car son essence est le manque, quelle
que soit la réalisation obtenue, le désir rebondit vers un autre
objet.
Désir = souffrance.
de
sa nature: précisément par
sa nature d'être manque éprouvé: celui qui désire pour
l'auteur ne pourrait être que souffrance (Schopenhauer ne semble
pas voir que dans le désir, il y a un plaisir éprouvé à
désirer un objet dont on attend un grand plaisir).
l'est
par essence: désirer c'est
souffrir car c'est manquer.
la
satiété: on en a assez, ce
qui provoque un état d'indifférence par rapport à la réalité
du désir: l'écœurement n'est pas loin.
le
but: ce que l'on poursuit et
qui était sensé satisfaire complètement le désir.
illusoire:
ce n'est que ça! on voulait être et on a couru après une
illusion, en croyant que posséder un objet suffirait.
enlève:
le désir est manque, il ne peut désirer que ce dont il manque.
Dès qu'il possède, il ne manque plus, il ne désire plus ce
qu'il a désiré avant.
renaît:
il repart en chasse, il continue à manquer, il est toujours
souffrance.
besoin:
comme l'appétit et la faim: cela devient une nécessité, une
chaîne qui l'attache à la souffrance.
sinon:
si le désir ne renaît pas, la vie perd tout son sel, on n'a plus
de projet, le temps est vide, on s'ennuie et on se dégoûte de la
vie que l'on mène. Le temps s'étire, les journées sont
interminables et on finit pas dire: il faut tuer le temps!
plus
rudes:
ici, plus pénibles.
le
besoin: on finit par
considérer les choses poursuivie comme nécessaires à sa survie,
comme si on ne pouvait pas s'en passer.
=> Peut-on
échapper à ce cycle infernal? Seuls les plus doués le pourront,
les autres seront réduits au vouloir.
ni
trop long ni trop court: il
s'agit de mesurer le rythme des désirs et celui des plaisirs, de
calculer un juste intervalle.
la
plus heureuse vie: c'est à
dire la vie qui a le moins de souffrances du point de vue de
l'intensité.
car:
pourquoi, est-ce la vie la plus heureuse? Pourquoi les moments de
contemplation et de recherche désintéressée sont des moments
moins heureux?
d'autres
moments: d'une part la
contemplation de la beauté exclut le désir: c'est un moment de
bonheur qui ne dure pas. Il est pur, sans mélange de vouloir.
Mais ces moments nous détournent de la réalité, ils n'ont pas
un contenu réel.
c'est:
les autres moments sont des joies d'une part de la connaissance
désintéressée, sans rapport avec le vouloir, et d'autre part de
la jouissance du beau, la satisfaction complète qui naît de la
contemplation esthétique (influence de Kant)
encore:
une autre raison de dire que ces joies sont exceptionnelles: elles
ne sont pas pour tous mais pour un petit nombre qui possède des
aptitudes rares c'est à dire des dispositions naturelles qui ne
peuvent être acquises ni transmises. Il s'agit du petit nombre
capable de liberté, d'échapper un instant au vouloir vivre.
même:
pour ce petit nombre ces joies ne sont qu'un répit limité au
temps de la contemplation ou à celui de la recherche
désintéressée.
intelligence:
ici c'est le pouvoir d'accéder: la culture permet de comprendre
les autres mais les autres ne comprennent pas celui qui est
cultivé, d'où sa solitude!
vulgaire:
vulgus signifie la foule, la foule des autres, sous le fouet du
plaisir ce bourreau sans merci disait Baudelaire.
solitaires:
ils sont différents, leur intelligence supérieure les isole. Ils
peuvent comprendre, mais ils ne sont pas compris
l'équilibre:
ainsi la quantité de souffrance de la foule est égale à celle
des intelligences supérieures. Le Moyen Âge disait : A
beaucoup de savoir, beaucoup de peines.
conséquence:
la plupart des hommes n'ayant pas l'intelligence supérieure ne
peuvent accéder à une démarche désintéressée: ils sont donc
noyés dans le désir et l'ennui.
simple
vouloir: ils désirent, ils
veulent et participent à un vouloir-vivre aveugle et universel,
commun à toutes les réalités, qui se sert d'eux et les
traverse.
Bonne
continuation
Joseph Llapasset
©
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