"La conscience et le monde sont donnés d'un même coup: extérieur par essence à la conscience, le monde est, par essence relatif à elle. C'est que Husserl voit dans la conscience un fait irréductible qu'aucune image physique ne peut rendre. Sauf, peut-être, l'image rapide et obscure de l'éclatement. Connaître c'est s'éclater "vers", s'arracher à la moite intimité gastrique pour filer, là-bas, par-delà
soi, vers ce qui n'est pas soi, là-bas, près de l'arbre et cependant hors de lui, car il m'échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu'il ne se peut diluer en moi
- hors de lui, hors de moi. Est-ce que vous ne reconnaissez pas dans cette description vos exigences et vos
pressentiments? Vous saviez bien que l'arbre n'était pas vous, que vous
ne pouviez pas le faire entrer dans vos estomacs sombres et que la connaissance ne pouvait pas, sans malhonnêteté, se comparer à la possession."
Jean-Paul Sartre, Situation I; (1947)
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= Lisons
le texte ensemble: (suite)
le
monde: il s'agit bien
entendu du monde humain: celui de l'imagination, de l'esprit du
désir, celui qui construit en fonction de.
relatif: le
monde n'existe que par rapport à la conscience: il ne se suffit
pas à lui même.
irréductible: indéfinissable
par un objet matériel: un acte ne se définit pas, il ne peut
être ramené à une image physique que l'on pourrait analyser, ou
alors, peut-être, à une image qui fuit, qui défie toute
définition.
l'image
rapide: comme un
mouvement.
obscure: qui
ne peut être objectivée et observée.
éclatement: explosion
qui provoque une projection: la conscience est projection vers,
intentionnalité,visée, acte de transcendance, de dépassement
vers ce qui n'est pas elle.
s'arracher: filer
loin de.
intériorité: la
soi-disant vie intérieure, qui n'est qu'obscurité de ce qui
reste en soi: de ce qui est immanent, qui réside en.
gastrique: c'est
une métaphore, une comparaison abrégée: la conscience n'est pas
comparable à un estomac qui digèrerait et assimilerait les
choses qu'elle consommerait.
là-bas: loin
de, vers ce qui est par delà soi (= est par delà ce qui est plus
loin que, ce qui n'est pas soi). C'est toujours la même idée,
l'objet perçu n'est pas dans ma conscience.
près
de l'arbre: parce
qu'elle s'arrête à sa surface, elle n'entre pas dedans: l'acte
de la conscience me donne l'existence de la chose. Elle
existe, c'est à dire, elle est pour moi. Mais l'acte de
dépassement ne me donne jamais l'essence la chose, sa structure
interne, ce qu'elle est.
il
m'échappe: en
conséquence de ce qui précède, sa connaissance
m'échappe.
perdre
en lui: faire partie de
lui, se diluer en lui.
se
diluer en moi: devenir
un état intérieur entrer dans ma conscience, être digéré et
assimilé par elle, transformé en état de conscience.
hors
de lui: parce que l'acte
de dépassement s'arrête à l'extérieur de l'arbre.
hors
de moi: car la
conscience éclate et file vers l'arbre.
est-ce
que: l'auteur, qui cherche à persuader, veut mettre
le lecteur de son côté: est-ce que ce n'était pas ce que votre
raison exigeait? Est-ce que ce n'était pas ce que
votre intuition devinait?
saviez: pour
Sartre c'est une question de bon sens. La vie intérieure n'est
pas.
entrer: c'est
évident que la chaise ne peut entrer dans une conscience qui la
vise.
sans
malhonnêteté: à
écouter Sartre, que la littérature emporte, Hume, Bergson,
Proust seraient malhonnêtes de parler d'une vie intérieure de la
conscience.
possession: de
ce qui est en nous, que nous possédons car nous l'avons digéré,
assimilé.
Votre remarque
est juste, la philosophie devient littérature: il suffit
d'ailleurs de suivre la suite du texte pour le comprendre. Sartre
dit que la conscience se jette dans la poussière sèche du monde,
sur la terre rude, parmi les choses...
Joseph Llapasset
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page
1 et page 2
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