"En
effet rien de ce qui est de droit humain ne saurait déroger à ce
qui est de droit naturel ou de droit divin. Or
selon l'ordre naturel institué par la divine providence, les réalités
inférieures sont subordonnées à l'homme, afin qu'il les utilise
pour subvenir à ses besoins. Il
en résulte que le partage des biens et leur appropriation selon
le droit humain ne suppriment pas la nécessité pour les hommes
d'user de ces biens en vue des besoins de tous. Dès
lors, les biens que certains possèdent en surabondance
sont destinés, par le droit naturel, à secourir les pauvres. C'est
pourquoi saint Ambroise écrit : «Le pain que tu gardes
appartient à ceux qui ont faim, les vêtements que tu caches
appartiennent à ceux qui sont nus et l'argent que tu enfouis est
le rachat et la délivrance des malheureux. » Or
le nombre de ceux qui sont dans le besoin est si grand
qu'on ne peut pas les secourir tous avec les mêmes ressources,
mais chacun a la libre disposition de ses biens pour secourir les
malheureux. Et, même en cas de nécessité évidente
et urgente, où il faut manifestement prendre ce qui est sous la
main pour subvenir à un besoin vital, par exemple quand on se
trouve en danger et qu'on ne peut pas faire autrement, il est légitime
d'utiliser le bien d'autrui pour subvenir à ses propres besoins;
on peut le prendre, ouvertement ou en cachette, sans pour autant
commettre réellement un vol ou un larcin."
Saint Thomas
d'Aquin.
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= Le
vol, même celui d'un morceau de pain pour se nourrir,
est-il dans tous les cas défendu parce qu'il contredit le
droit des hommes?
Toute
démonstration consiste à déduire (sortir de) une
conclusion d'un point de départ admis comme certain, en
passant par des enchaînements rigoureux. C'est une manière
d'expliciter ce qui est contenu implicitement dans le point
de départ, ce qui est la conséquence incontournable.
Voilà
pourquoi Saint Thomas d'Aquin part d'une affirmation
catégorique qui lui semble peu contestable. Une hiérarchie
avec au sommet le droit divin. Il utilise la raison, le
pouvoir de distinguer le vrai du faux. Celui qui admet le
point de départ doit nécessairement admettre le point
d'arrivée: dans ce texte, le point d'arrivée est: "il
est légitime d'utiliser le bien d'autrui pour subvenir à
ses propres besoins".
Cela doit amener à réfléchir tous ceux qui considèrent
que l'église est à la solde des riches. En effet, l'auteur
montre que le vol et le larcin, à visage découvert ou en
cachette, dans certains cas de besoin extrême, deviennent
conformes au droit divin. Autrement dit un acte qui
contrevient à une loi écrite peut être moralement juste.
Avouons
que ce n'est pas rien que de démontrer cela.
L'intérêt de ce texte c'est de nous montrer que la raison
peut être mise au service du cœur et de la charité, sans
pour cela perdre son caractère de rationalité. Cela montre
qu'une hiérarchie n'est pas toujours au désavantage du
pauvre, comme le croit l'opinion, mais au contraire, peut le
secourir.
Voici
la structure du texte.
Vous pouvez souligner l'architecture rationnelle de ce
texte:
- Une Majeure: un principe peu contestable, à condition
d'admettre par la foi qu'il y a un droit divin.
- La Mineure: c'est une deuxième proposition, elle aussi
peu contestable.
- La conclusion: elle résulte de ce qui était
implicitement inclus dans la majeure et dans la mineure.
Dès
lors
- Première conséquence : citation à l'appui qui introduit
une autre conséquence.
or
-
Autre mineure: le raisonnement continue.
- Ce à quoi aboutit le raisonnement: le message de
l'auteur.
|
= Lisons
le texte ensemble:
rien: il
est important que le point de départ soit un principe, qu'il n'y
ait pas d'exception par laquelle le droit humain passerait avant
le droit divin.
droit
humain: des lois
écrites par les hommes.
déroger: contrevenir,
ne pas suivre le droit naturel ou le droit divin.
droit
naturel: le droit non
écrit qui bouscule souvent le droit des hommes. Il est écrit
dans le cœur et dans la raison des hommes.
droit
divin: le droit prescrit
par dieu, par exemple dans les dix commandements, puis dans la
révélation des Évangiles.
l'ordre
naturel: l'ordre de la
nature créée: il y a une hiérarchie en fonction de la
possibilité de porter un jugement libre: la pierre tombe, agit
sans jugement. l'animal agit par instinct, il n'est pas libre.
Seul l'homme agit par jugement ce qui le rend capable de
connaître (le jugement consiste à relier deux concepts)
réalité
inférieure: les choses
naturelles inanimées et les animaux
subordonnées: soumises,
dépendantes de l'homme selon la Bible.
utiliser: se
servir des réalités inférieures pour satisfaire ses besoins,
manger, boire, dormir à l'abri. De la pierre il fera une maison,
et du gibier, son repas.
divine
providence: la main
invisible de Dieu qui nourrit jusqu'aux oiseaux du ciel Autrement
dit les fruits ne sont à personne et la terre est à tous selon
la volonté de Dieu.
le
partage des biens: ce
n'est pas un partage équitable, les uns regorgent de biens et les
autres manquent de tout.
leur
appropriation: certains
ont beaucoup de biens selon le droit de propriété, le droit
humain.
ne
suppriment pas: le droit
naturel par lequel les biens de la nature ont été donnés à
tous les hommes pour les besoins de tous.
dès
lors: à partir de là,
en conséquence,
certains Il
s'agit des riches.
sont
destinés: signifie, sont
fixés d'avance pour un usage déterminé: être utilisés pour
les besoins de tous.
=> Saint
Ambroise s'adresse aux riches.
Vers page
2
Joseph
Llapasset ©
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