"Mais quand
les difficultés qui environnent toutes ces questions laisseraient
quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de
l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les
distingue et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation,
c'est la faculté de se perfectionner, faculté qui, à l'aide des
circonstances, développe successivement toutes les autres et réside
parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu, au lieu qu'un
animal est, au bout de quelque mois , ce qu'il sera toute sa vie ,
et son espèce, au bout de mille ans , ce qu'elle était la première
année de ces mille ans.
Pourquoi l'homme seul est -il sujet à
devenir imbécile? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état
primitif , et que tandis que la bête, qui n'a rien acquis et qui
n'a rien non plus à perdre , reste toujours avec son instinct,
l'homme, reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents tout ce
que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi
plus bas que la bête même ?
Il serait triste pour nous d'être
forcés de convenir que cette faculté distinctive, et presque
illimitée, est à la source de tous les malheurs de l'homme que
c'est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition
originaire dans laquelle il coulerait des jours tranquilles, et
innocents que c'est elle qui faisant éclore avec les siècles ses
lumières et ses erreurs ses vices et ses vertus, le rend à la
longue le tyran de lui-même et de la nature."
Rousseau.
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= Lisons
le texte ensemble: (suite)
=> Point très
important: espèce et individu ont pour caractéristique
spécifique la perfectibilité. L'individu est libre: il n'est pas
déterminé à être ce qu'il est.
au
lieu: alors que, au
contraire: introduit la caractéristique essentielle de l'animal:
la fixité.
est
ce qu'il sera: c'est la
nécessité, le retour du même. Il y a bien un apprentissage des
premiers mois d'un petit chat, mais cet apprentissage consiste
seulement à actualiser l'instinct.
son
espèce: il y a par exemple des huîtres qui n'ont pas
changé au cours de millions d'années.
le
mécanisme: c'est le retour
du même.
=> Pour faire
admettre sa thèse, Rousseau emploie une suite de questions.
Ainsi, il engage le lecteur dans sa démarche, il le prend à
témoin: ces questions sont rhétoriques c'est à dire que la
réponse est évidente. C'est une bonne manière de convaincre et
de persuader.
seul:
c'est parce que c'est le résultat d'une qualité spécifique à
l'homme, à l'espère comme à l'individu.
sujet:
ici, il faut prendre ce terme au sens de ce qui supporte, ce qui
souffre quelque chose qu'il n'a pas voulu.
imbécile:
faible d'esprit au sens large. Il en vient à ne plus pouvoir
exercer ses facultés jusqu'à oublier son chemin.
n'est-ce
point: question rhétorique.
retourne: ici
revient à un état primitif de l'enfance dont il s'était
éloigné grâce à sa perfectibilité.
état
primitif: bien entendu,
il ne s'agit pas de l'état de nature mais d'un état initial,
celui du bébé dont on doit s'occuper, que l'on doit laver,
nourrir, etc...
tandis
que: alors que, au
contraire.
le
bête: n'ayant rien
acquis, la bête ne perd rien. Elle garde toujours son instinct
qui continue à la guider même dans la vieillesse.
reperdant: perdant
tout ce qu'il a acquis par sa perfectibilité.
retombe: tombe
à nouveau dans l'état de dépendance du bébé. Il ne sait plus
rien, il ne sait comment faire.
ou
d'autres accidents: par
exemple, ce qu'on appelle une "attaque", une hémorragie
cérébrale" qui peut le transformer en imbécile.
plus
bas: parce que la bête
maintient toujours son niveau, ainsi l'homme peut lui devenir
inférieur.
=> Parce qu'il
n'a pas opéré sa démonstration, dans les dernières lignes du
deuxième discours, Rousseau sera catégorique.
Il
serait triste: ce
conditionnel peut paraître étonnant sous la plume de Rousseau.
Il aurait pu être plus affirmatif étant donné ce qui va suivre.
Pourquoi ne pas dire carrément que, selon lui, la perfectibilité
est à l'origine de tous les maux. Déjà le Moyen Âge disait: A
beaucoup de connaissances, beaucoup de chagrins. A l'horizon de la
perfectibilité il y a des inventions qui répondent à de
nouveaux besoins: les difficultés de garder un champ, une simple
possession amène l'invention de la propriété comme adaptation
à un changement social causé par l'invention de l'agriculture...
et les guerres, les crimes...
le
tire: le sort de sa
condition première, ici l'état de nature, où il goûtait la
paix et la satisfaction de ses besoins.
innocent: ne
connaissant pas, il ne pouvait être coupable. L'amour de soi et
la pitié assuraient la sécurité et la liberté des hommes.
c'est
elle: on notera dans ce
dernier alinéa que Rousseau suggère, il ne pose pas des
questions comme dans le deuxième alinéa. C'est encore la
perfectibilité qui a pour conséquence le siècle des lumières:
l'acquisition de connaissances justifiées par la raison et
l'expérience: on considère que la raison est un flambeau qui
éclaire l'homme et fera disparaître le fanatisme...
erreurs:
les erreurs du siècle des lumières viennent de ce qu'il affirme
plus qu'il ne sait.
vices:
habitudes de faire le mal qui finit par déterminer l'homme comme
une seconde nature.
vertu:
à partir du moment où il y a des vices, il y a des vertus car,
pour être vertueux, il faut bien qu'il y ait un mal auquel on
puisse résister. Ainsi le mal est l'occasion de la vertu.
tyran:
par la vertu, l'homme devient son propre tyran, il doit bien
maîtriser les désirs et les besoins que développent les
sciences et les arts. Cette tyrannie s'étend au donné naturel
extérieur.
=> Résumons:
la perfectibilité arrache l'homme à l'état de satisfaction et
d'équilibre dont il jouissait dans l'état de nature, et le met
définitivement sur le chemin du désir fou et du déchirement.
Bonne
continuation
Joseph Llapasset
page
1 et page 2
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