"Distinguons toujours les penchants qui viennent de la nature de ceux qui viennent de l'opinion. Il est une ardeur du savoir qui n'est fondée que sur le désir d'être estimé savant; il en est une autre qui naît d'une curiosité naturelle à l'homme pour tout ce qui peut l'intéresser de près ou de loin. Le désir inné du bien-être et l'impossibilité de contenter pleinement ce désir lui font rechercher sans cesse de nouveaux moyens d'y contribuer. Tel est le premier principe de la curiosité; principe naturel au coeur humain, mais dont le développement ne se fait qu'en proportion de nos passion et de nos lumières. Supposez un philosophe relégué dans une île déserte avec des instruments et des livres, sûr d'y passer seul et le reste de ses jours; il ne s'embarrassera plus guère du système du monde, des lois de l'attraction, du calcul différentiel: il n'ouvrira peut-être de sa vie un seul livre, mais jamais il ne s'abstiendra de visiter son île jusqu'au dernier recoin, quelque grande qu'elle puisse être. Rejetons donc encore de nos premières études les connaissance dont le goût n'est point naturel à l'homme, et bornons-nous à celles que l'instinct nous porte à chercher."

Rousseau, l'Emile.
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=  Lisons le texte ensemble:

Distinguons=  ne confondons pas: ce serait une erreur, par exemple de s'adresser à la raison si elle est encore en sommeil chez l'enfant. Ce serait  mettre dans le même sac ce qui relève de la nature et ce qui relève de l'opinion.

toujours: Rousseau est catégorique. C'est une règle qui ne supporte pas l'exception pour celui qui veut réussir une éducation.

penchants: inclinations naturelles qui nous portent vers une recherche et une fin.

nature / opinion: l'une est vraie, l'autre est fausse: l'une est ce qui est, l'autre est ce qui cherche à paraître. La nature c'est ce qui est pour ainsi dire inné, reçue à la naissance. L'opinion c'est ce qui relève des jugements, des affirmations, de ce que l'homme ajoute à la nature, de ce qui est artificiel et clinquant.

ardeur: C'est le feu qui brûle.

savoir: accumulation de connaissances dont on peut faire étalage devant les autres (=> paraître).

fondée: appuyée fermement sur.

Désir: manque éprouvé que l'on cherche à combler.

être estimé: être considéré, paraître avoir de la valeur aux yeux des autres.

savant: doté de connaissances abstraites.

une: une ardeur

naît: est produite par, a pour origine...

curiosité: soif d'apprendre ce qui est utile, goût de l'exploration.

naturelle: qu'il a par nature, par instinct.

l'intéresse: lui être d'une quelconque utilité propre à satisfaire l'amour de soi.

le désir inné: la tension naturelle vers, donnée à la naissance.

bien-être: avoir une satisfaction complète. Tout  ce qui peut satisfaire le désir. Le désir qui devient avidité est une passion impossible à contenter car on en veut toujours plus.

pleinement: complètement car il y a toujours quelque chose qui manque: il est impossible d'avoir tout.

chercher / nouveaux: inventer

moyen: ici instrument pour se procurer.

y contribuer: prêter bien attention à ce terme: quand on contribue, on participe à quelque chose mais on ne le fait pas complètement. Contribuer n'est pas satisfaire.

principe: ce qui commande, il sera ce sur quoi le pédagogue peut toujours s'appuyer avec succès lorsqu'il veut motiver l'enfant: la curiosité pour ce qui lui paraît devoir être utile.

naturel: inscrit dans le cœur.

le développement: l'expansion, le déploiement, l'épanouissement, la croissance.

en proportion: en fonction de.

nos passions: lorsque tout est l'objet du désir. Or tout ne peut jamais être atteint: dans ces conditions le désir se transforme en passion: l'avidité, l'ambition ...

lumières: les connaissances acquises, le savoir. Comprendre que la curiosité s'accroît en proportion du désir de jouir et du développement des connaissances: on en veut toujours plus.

supposer: Rousseau va procéder à une expérimentation imaginaire; il y a un point de départ à accepter: une situation: un philosophe relégué c'est à dire exilé; supposons que le philosophe soit cultivé

île déserte: sans le regard des autres, sans le souci de paraître qui le forçait à des études abstraites. Ses connaissances ne lui sont plus d'aucune utilité.

livres et instruments: des savoirs et des techniques.

sûr: certain, sans l'idée qu'il pourrait un jour en sortir et retrouver le regard des autres. Certain d'y rester seul jusqu'à sa mort.

ne s'embarrassera pas: il ignorera tout ce qui est devenu inutile: il ne sentira plus le poids des lumières qui gênerait la liberté naturelle celle qu'il vient de trouver.

système du monde, attraction universelle, calcul différentiel: il ne verra plus l'utilité de ce qui lui permettait de briller dans le monde, puisqu'il n'y a plus de monde autour de lui

visiter: il procèdera à l'exploration car elle pourra lui être utile pour sa conservation.
La thèse est toujours la même, la curiosité est orientée vers ce qui est utile. Il faut distinguer, pense Rousseau ce qui est simplement utile et ce qui est vraiment utile.

rejetons donc: c'est la morale à tirer du texte. Rejetons ce qui est inutile, toutes les fariboles inventées par les sciences et les arts, du moins dans l'éducation des jeunes enfants.

nos premières études: essentiel! Les premières études de nos enfants.

goût: le désir, l'appétit pour ...

n'est point naturel: tout ce qui ne correspond pas à un penchant, tout ce qui est artificiel.

bornons nous: mettons de la mesure là où il avait de la démesure: considérer l'enfant comme un petit homme raisonnable.

celles: les connaissances vers lesquelles l'instinct de curiosité nous oriente, celles qui sont vraiment utiles à l'amour de soi et à notre conservation.

Bonne continuation.

Joseph Llapasset ©