"Il est aisé
de voir qu'entre les différences qui distinguent les hommes,
plusieurs passent pour naturelles qui sont uniquement l'ouvrage de
l'habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent
dans la société. Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la
force ou la faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de
la manière dont on a été élevé que de la constitution
primitive des corps. Il en est de même des forces de l'esprit, et
non seulement l'éducation met de la différence entre les esprits
cultivés, et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle
qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture. Or
si l'on compare la diversité prodigieuse d'éducations et de
genres de vie qui règnent dans les différents ordres de l'état
civil, avec la simplicité et l'uniformité de la vie animale et
sauvage où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la
même manière, et font exactement les mêmes choses, on
comprendra combien la différence d'homme à homme doit être
moindre dans l'état de nature que dans celui de société et
combien l'inégalité naturelle doit augmenter dans l'espèce
humaine par l'inégalité d'institution."
Rousseau,
Différence et inégalité d'institution
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= On
entend souvent dire que celui qui possède et jouit de
certains privilèges par rapport aux autres, mérite cela
par ses qualités naturelles, des aptitudes qui le
distinguent des autres; comme s'il y avait une liaison
nécessaire entre les différences naturelles et les
inégalités d'institutions.
C'est à ce genre de raisonnement que Rousseau s'attaque
dans ce texte. Il s'agit de distinguer les différences
naturelles et les différences de conventions qui sont
instituées; de montrer que les différences naturelles ne
deviennent importantes et donc visibles que parce qu'elles
sont multipliées et augmentées par les inégalités de
convention. Ainsi Rousseau s'attaque à l'argument de tous
les conservateurs qui affirment que le culturel est un
décalque du naturel, qu'il est donc vain de vouloir
changer l'ordre des choses.
Mais Rousseau renverse ce rapport: loin de pouvoir réduire
les inégalités d'institutions à des différences
naturelles, il faut admettre que ce sont les inégalités
naturelles qui augmentent par l'effet des inégalités de
convention, par l'effet de criantes injustices.
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= Lisons
le texte ensemble:
aisé
de voir: facile de constater pour peu qu'on soit de
bonne foi: c'est évident, placé sous le regard de tous.
entre: ici,
parmi.
différences: est
différent ce qui est autre, entre deux éléments semblables
distinguent: séparent,
différencient.
passent: sont
à tort pris pour naturels.
uniquement: alors
que ces différences ne sont parfois que ce que la diversité des
cultures a fait.
ainsi: par
exemple.
tempérament: pour
sa démonstration, Rousseau prend ce qui est généralement
considéré comme naturel, inné. Le tempérament, la disposition
à réagir aux agents extérieurs: le froid par exemple. L'auteur
montre que le tempérament n'est pas inné.
robustes: résistants,
cette résistance donnant de la force aux uns, à ceux qui ont
été élevés à la dure.
délicats: fragilité,
qui donne de la faiblesse à ceux qui ont été élevés dans du
coton.
en
dépendent: en sont la conséquence.
viennent: sont
l'ouvrage de.
élevés: par
des exercices ou au contraire dans la mollesse de l'éducation
selon les mœurs infiniment variées.
constitution
primitive: ce qui est donné à la naissance.
=> Rousseau
veut montrer que la prédisposition naturelle compte peu en
comparaison de l'éducation et des exercices: il faut en conclure
que c'est la culture (éducation et exercice) qui augmente les
prédispositions naturelles.
de
même: de manière identique.
force
de l'esprit: intelligence, volonté, mémoire se
développent mieux dans un milieu cultivé. C'est la source de
différences et d'inégalités sociales: différences en deux
sens:
-
entre ceux
qui sont cultivés et ceux qui ne le sont pas.
-
entre ceux
qui sont plus ou moins cultivés, en fonction de leur culture.
on
compare: on examine selon les rapports de
ressemblances et de différences.
d'une part ...
la
diversité: la variété
prodigieuse: qui
tient du prodige et touche à l'extraordinaire.
d'éducation: de
manières d'élever l'enfant.
de
genre de vie: de mœurs.
d'autre part
...
=> On compare
cela à la simplicité l'uniformité de la vie animale: il y a
absence de variété: les mêmes aliments, les mêmes manières de
vivre ne sauraient provoquer des différences importantes.
Où Rousseau
veut-il en venir?
A ceci: la vie animale ne peut pas instaurer la même variété de
différences que la vie sociales. Les différences naturelles sont
de peu d'importances et elles ne peuvent donc justifier la
prodigieuse variété des inégalités culturelles.
On comprendra,
on saisira, on verra par raison évidente.
d'homme
à homme: de semblable à
semblable.
moindre:
plus petite ,moins importante dans l'état de nature, état de
l'homme avant toute culture.
l'inégalité
naturelle: les différences des âges, de la santé, des
forces du corps, de l'intelligence ne seraient rien ou presque
rien si la culture ne les avaient développées au point d'en
faire des inégalités sociales, sources de privilèges et de
flagrantes injustices.
doit:
ici, nécessairement.
augmenter:
s'accroître et se diversifier par l'effet des inégalités
d'institutions. La culture se transmet à partir de ceux qui sont
cultivés. (voir le nombre d'enfants de médecins qui vont devenir
médecins à leur tour).
L'inégalité
d'institution, dépend non seulement de la convention mais
du consentement des hommes qui laissent faire. Il ne peut donc
y avoir de liaison essentielle ni de proportion entre les
différences naturelles de peu d'importance et les inégalités
sociales.
Bonne
continuation
Joseph Llapasset
©
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