"L’homme
est homme par son pouvoir d’affronter ses besoins et de se
sacrifier. Or cela doit être constitutionnellement possible,
c’est-à-dire inscrit dans la nature même du besoin. Si je ne
suis pas maître du besoin comme manque, je peux le repousser
comme raison d’agir. C’est dans cette épreuve extrême que
l’homme montre son humanité.
Déjà la vie la plus banale
esquisse ce sacrifice : ce que l’on a appelé la «
socialisation des besoins » suppose que le besoin se prête à
une action corrective exercée sur lui par les exigences d’une
vie proprement humaine (coutumes, règles de politesse, programme
de vie…) Mais c’est l’expérience du sacrifice qui est la
plus révélatrice ; les récits d’expéditions au pays de la
soif ou du froid, les témoignages de combattants sont la longue
épopée de la victoire sur le besoin. L’homme peut
choisir
entre sa faim et autre chose. La non-satisfaction des besoins peut
non seulement être acceptée mais systématiquement choisie: tel
qui eut sans cesse le choix entre une dénonciation et un morceau
de pain préféra l’honneur à la vie. ; Et Gandhi choisit de ne
pas manger pour fléchir son adversaire. La grève de la faim est
sans doute l’expérience qui révèle la nature vraiment
humaine
de nos besoins comme, en un certain sens, la chasteté (monacale
ou autre) constitue la sexualité en sexualité humaine. Ces
situations extrêmes sont fondamentales pour une psychologie de
l’involontaire. Le besoin peut donc
être un motif comme un
autre."
Paul Ricœur, Le volontaire et l'involontaire 1950
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Pour mieux comprendre la thèse de l'auteur et approcher le sens
du texte:
= Le
"je veux" et le "je peux" c'est ce qui
ordonne et fonde l'involontaire: une psychologie de
l'involontaire ne saurait l'ignorer.
= Le plus
souvent la thèse se trouve au début du texte et à la fin
du texte proposé sous forme de reformulation. On s'attend
en conséquence à ce que la dernière phrase commence, par
exemple, par "Ainsi ..."
Or nous trouvons un "donc" dans la dernière
phrase. |
= Point
de départ du texte:
Ricœur part d'un fait peu contestable: la caractéristique
essentielle de l'homme, ce qui fait que l'homme est homme, ce qui
est premier et fondateur, c'est le pouvoir qu'il a de faire face
à ses besoins, de les affronter et de les vaincre. Vers le milieu
du texte Ricoeur parle d'une victoire sur les besoins. L'homme
peut en effet supporter la faim et la soif et avoir ainsi d'autres
raisons d'agir que celles de satisfaire ses besoins: il peut poser
une fin pour laquelle il sacrifie la satisfaction immédiate de
ses besoins, comme s'il y avait une partie de l'âme humaine qui
dirigeait en fonction d'une fin librement choisie.
= Point
d'arrivée du texte:
Le besoin n'a pas plus de force qu'un autre motif: il ne
détermine pas nécessairement la conduite de l'homme: un autre
motif que le besoin peut être choisi .
Ce point de départ et ce point d'arrivée sont réunis
rationnellement par un raisonnement vigilant: un raisonnement
rigoureux, un enchaînement, et le souci de montrer par des
exemples la vérité de la thèse. Le développement est un
passage du "je peux" au fait que le besoin peut être
reconnu comme un motif semblable aux autres motifs. Cela n'est
possible bien entendu que parce que l'homme a le pouvoir
d'affronter ses besoins, à la seule condition d'en prendre
conscience. En ce sens la psychanalyse, selon Ricoeur
réconciliera le moi avec les force de l'involontaire.
= Lisons
ensemble ce texte:
D'abord rappelons que motif dans
ce texte signifie, ce qui pousse à agir et l'ensemble des
conditions rationnelles qui justifient l'action.
1-
L’homme
est homme : ce qui fait
qu'un homme est un homme, sa caractéristique essentielle, c'est
son pouvoir, le "je peux".
affronter : faire front pour
combattre, maîtriser et vaincre ...
ses besoins : la soif, la
faim, le besoin de dormir...
se sacrifier : c'est la
conséquence du pouvoir d'affronter, en ce sens l'amour se nourrit
de sacrifice et, nous dira l'auteur vers la fin du texte, la
chasteté constitue la sexualité en sexualité humaine. Celui qui
fait la grève de la faim se sacrifie pour une fin qu'il juge
supérieure à la satisfaction des besoins.
constitutionnellement : le pouvoir d'affronter ses besoins
n'est possible que s'il est fondé sur la constitution du besoin,
inscrit dans cette constitution. La nature du besoin rend possible
le pouvoir.
inscrit : signifie donc "écrit dans".
la nature même du besoin : ce que cela est que le besoin.
En effet le besoin est manque éprouvé, ce qui pousse à agir,
énergie, mais ce n'est pas une nécessité. Le choix est
possible.
pas maître du besoin : je ne suis pas maître du besoin
parce que je ne peux pas faire que le besoin ne soit pas. Je ne
peux pas faire que je n'aie pas faim, soif ou envie de dormir.
raison d’agir : par contre il ne tient qu'à moi que le
besoin ne soit pas transformé en motif, ne soit pas une raison
d'agir.
montre : terme très important. Il fait apparaître, il
prouve.
son humanité : sa caractéristique essentielle, ce
qui fait que l'homme est homme.
épreuve : opération par laquelle se prouve la valeur
d'une chose.*
Vers 2-
la page
2
Joseph Llapasset
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