"La
conscience. - Le conscient est l'évolution dernière et tardive
du système organique, et par conséquent aussi ce qu'il y a dans
ce système de moins achevé et de moins fort. D'innombrables méprises
ont leur origine dans le conscient, des méprises qui font périr
un animal, un homme plus tôt qu'il ne serait nécessaire, «
malgré le destin », comme dit Homère. Si le lien conservateur
des instincts n'était pas infiniment plus puissant, s'il ne
servait pas, dans l'ensemble, de régulateur : l'humanité périrait
par ses jugements absurdes, par ses divagations avec les yeux
ouverts, par ses jugements superficiels et sa crédulité, en un
mot par sa conscience : ou plutôt sans celle-ci elle n'existerait
plus depuis longtemps!"
Nietzsche "Le gai Savoir" &11
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Pour
mieux comprendre:
= Nietzsche
opère le renversement d'une hiérarchie.
La métaphysique a toujours voulu en effet s'appuyer sur la
pensée consciente. Au contraire, la thèse de Nietzsche est que
la conscience n'est qu'un organe arrivé tardivement, jeune,
imparfait et mal développé.
C'est pour ainsi dire une enfant qui fait de bêtises, qui prend
des risques inutiles, une fonction qui, ne s'étant pas encore
développée, n'étant pas achevée, constitue un danger pour
l'organisme.
Hésitation
là où l'instinct n'hésite pas, choix hasardeux,
fragilité de ceux qui se trompent, toutes ces faiblesses
sont à mettre au compte de la conscience: c'est comme si
elles balbutiait.
La conscience n'est rien d'autre qu'un instrument
inachevé...dont l'humanité pourrait se passer?
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Lisons
le texte ensemble:
L'évolution : le
déroulement, le dernier changement apparu, l'apparition d'un
nouvel organe.
système
: ensemble structuré dont les éléments forment un
tout organisé.
organique
: qui concerne les organes. Le conscience n'est
qu'un organe venu sur le tard. Encore dans l'enfance, elle ne joue
qu'un rôle mineur et négatif. Par conséquent, si elle est
d'apparition récente, si elle est mal ajustée, elle est
inférieure à tout le système des instincts, elle est moins
fiable. C'est le renversement opéré par l'auteur.
moins
fort : Elle hésite, elle est incertaine, elle ne
s'affirme donc pas comme une force active.
Les
méprises : erreurs d'appréciation, faux pas,
maladresses et balourdises. Scrupules qui empêchent d'avancer et
laissent l'ennemi nous terrasser.
plus
tôt : avant ce que le destin aurait fait. Par
exemple, mourir en pleine jeunesse à cause d'un faux pas.
malgré
le destin : en dépit de ce qui était fixé par la
nécessité. Par exemple la nécessité de mourir après une
vieillesse heureuse. On meurt jeune.
lien
conservateur : les instincts assurent la
conservation de la vie.
infiniment
: de manière infinie, beaucoup plus, extrêmement,
sans aucune mesure avec.
plus
puissant : par sa force d'affirmation.
régulateur
: qui ordonne comme il faut, comme l'instinct
conduit sûrement.
périrait
: notez le conditionnel. Heureusement que la
pluralité des instincts joue un rôle régulateur.
par
: à cause de
ses
: ceux de la conscience. Nietzsche énumère les
principaux défauts de la conscience.
ou
plutôt : Nietzsche se reprend, revient sur ce qu'il
vient de dire: que l'humanité périrait sans les instincts. C'est
comme s'il avait une fulguration d'esprit .
elle
n'existerait plus : sans la conscience, il
n'existerait plus d'humanité en tant qu'humanité. L'auteur nous
oriente vers la possibilité d'une sur-humanité: perdre la
conscience et se rendre instinctif le savoir comme si ce serait le
corps qui penserait. Il ouvre une possibilité inouïe.
= Distinguez bien
"périrait" et "n'existerait plus".
Bonne
continuation.
Joseph Llapasset
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