"Il y a un
objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception
d'autrui : le langage. Dans l'expérience du dialogue, il se
constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la
sienne ne font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de
l'interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils
s'insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n'est
le créateur... Nous sommes l'un pour l'autre collaborateurs dans
une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l'une dans
l'autre, nous coexistons à travers un même monde. Dans le
dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées
d'autrui sont bien des pensées siennes, ce n'est pas moi qui les
forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les
devance, et même, l'objection que me fait l'interlocuteur
m'arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte
que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour."
Merleau Ponty,
Phénoménologie de la perception, deuxième partie, IV, page 407.
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= Celui
qui veut qualifier
autrui est tenté de dire, dans un premier moment, qu'autrui
nous parvient comme un lointain dans des brouillards. Autant
dire que sa dimension principale, pour nous,semble être
l'absence. On peut alors se demander si, de cet objet au
bout de l'acte de ma conscience, je peux avoir une
expérience qui le saisisse dans la présence.
Il
y a bien une expérience privilégiée dans laquelle je ne
peux douter de la présence d'autrui: dans un dialogue
présent, je constitue avec lui une sorte d'"être à
deux" appuyée sur une expérience commune, sur une
intersubjectivité. Le dialogue n'est donc pas un épisode
de ma vie privée. C'est de cette expérience du dialogue
que Merleau Ponty nous entretient.
Serait-ce
que dans le dialogue avec autrui, nous tisserions un terrain
commun par une action commune? C'est que, dans le dialogue,
nous avons conscience de créer à deux, par une
collaboration, un monde commun que nous partageons, un monde
créé à partir de divers point de vue mais qui vise à
être un monde partagé et donc un monde objectif. Le
dialogue devient ainsi un mouvement vers la vérité.
On
comprendra alors pourquoi c'est dans le dialogue que
"les idées se forment plus qu'elles ne se
communiquent." A. Forest
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= Lisons
le texte ensemble:
objet
culturel: un objet qui a
pour origine la culture, une aptitude à instituer un système de
signes. La culture c'est ce que l'homme ajoute à la nature, ce
qu'il invente et ce qu'il enseigne.
jouer: avoir
une fonction importante dans la perception d'autrui. La manière
dont l'esprit se représente un objet extérieur.
=> Comprendre
où veut aller l'auteur: autrui dans un premier moment, avant
qu'il ne dise un mot, est dans mon champ perceptif, une chose vers
laquelle se dépasse, se transcende , la conscience: un objet que
je ne pénètre pas, à la surface duquel mon regard s'arrête.
Mais, grâce au langage, un dialogue s'instaure: autrui va sortir
de l'absence. Là où il y avait conscience objectivante, le
dialogue fait naître un "être à deux" où chacun est
présent à l'autre.
le
langage: aptitude à
instituer une langue pour communiquer: la parole est l'utilisation
personnelle d'une langue.
l'expérience: ce
que l'on éprouve au cours d'un dialogue et ce que la réflexion
fait apparaître.
il
se constitue: pourquoi
"il"? Parce que ce n'est ni l'un ni l'autre des
interlocuteurs qui constitue le terrain commun.
entre
autrui et moi: il y a un
rapport de réciprocité, dans lequel il y a un échange.
terrain: ce
grâce à quoi on peut se rencontrer et collaborer: ce grâce à
quoi deux pensées personnelles peuvent collaborer dans la
recherche de la vérité, par exemple en se questionnant.
commun: partagé,
c'est ce qui constitue un être à deux.
ma
pensée et la sienne: ce
qui faisait deux "je pense" avant le dialogue, dans la
solitude.
tissu: ce
qui est formé par un assemblage (interaction) de l'acte de
pensée de chacun des interlocuteurs du dialogue.
=> Comprendre
que ... suite
page 2
Joseph Llapasset
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