"Nous
revendiquons la liberté d’opinion. Ainsi chacun s’attache à
l’opinion comme à l’expression la plus précieuse de son être
individuel.
Mais il n’y a point d’opinion qui apporte à aucun homme une
satisfaction sans mélange : car, en lui donnant le nom
d’opinion, il reconnaît déjà sa faiblesse. Il se contente
d’avouer qu’elle est la sienne, sans prétendre toujours
qu’elle soit la meilleure. Et le choix qu’il en fait est un
choix que l’apparence détermine. C’est précisément au
moment où elle commence à être ébranlée qu’il s’attache
à elle avec une sorte de désespoir. C’est alors qu’il a
recours à ce suprême argument : « du moins est-elle mienne »,
offrant d’engager toute sa personne pour la défendre, au moment
même où il la sent chanceler.
Il suffit, dit-on, que l’on reconnaisse à toutes les opinions
une valeur égale. Mais cela est impossible, et contraire à la
raison, puisqu’à ce compte elles se détruisent toutes. Dire
que toutes les opinions ont une valeur égale, c’est dire
qu’elles n’en ont aucune, c’est -à-dire qu’elles sont en
effet des opinions, qu’elles ne contiennent aucune vision claire
de la vérité, qu’elles expriment seulement des préférences
du désir ou des vraisemblances de l’imagination.[…]
L’opinion lutte pour triompher comme l’individu. Qui relève
la valeur de l’un relève aussi l’autre. Elle traduit toutes
les fluctuations du caractère et de la vanité, qui s’apaisent
dès que nous réussissons à atteindre la connaissance et à la
posséder. Au lieu de comparer son opinion à celle d’autrui, le
sage qui connaît leur origine retire à la sienne la force que
lui donnait l’amour -propre, et refuse de la suivre dans le
combat.
Aussi n’est-ce pas l’opinion d’autrui qu’il faut mépriser,
c’est d’abord la Nôtre."
Louis Lavelle.
L'erreur de Narcisse
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= Quel
paradoxe! Lorsque quelqu'un commence à dire dans une
assemblée, sur un ton de confidence, je vais donner mon
opinion: tout un chacun prend un air attentif et se prépare
à ne pas écouter.
D'une part, la liberté
d'opinion, nous la revendiquons, mais lorsqu'il s'agit
d'établir notre opinion, nous voilà bien embarrassés.
Nous dirons par exemple: "toutes les opinions se
valent" en espérant que la nôtre aura donc une
valeur. Nous revendiquons donc la liberté d'opinion comme
si c'était un droit: le droit de croire ce que l'on
veut...
Qu'est-ce qui fait donc la
force de nos opinions? Ce doit être une force bien
importante pour que nous revendiquions le droit d'affirmer
ce que nous sommes incapables de justifier. Quel rapport y
a-t-il entre nous et nos opinions?
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= Lisons
le texte ensemble:
nous
revendiquons: nous
réclamons comme un droit attaché à ce que nous sommes.
la
liberté d'opinion: la
possibilité d'affirmer ce que nous croyons sans qu'une contrainte
soit exercée. En effet l'opinion est une affirmation que l'on ne
peut pleinement justifier: comme dans une croyance, la volonté
affirme plus, que ce que le sujet sait.
s'attache:
se fixe à, s'aliène à, comme si on se mettait volontairement
dans des chaînes.
l'expression:
ce qui fait connaître par le langage, ce qui fait apparaître
quelque chose qui était caché.
la
plus précieuse: qui a le
plus de valeur, la plus appropriée. Bien mieux que la pensée et
que l'action par exemple.
son
être: ce que nous sommes en
tant qu'individu.
mais:
ici commence la réflexion de l'auteur sur l'opinion. Elle va
passer un mauvais moment:
- Tout
d'abord: vers la page
2
Joseph Llapasset
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