"Il est
assez curieux qu'en parlant du devoir on pense à quelque chose d'extérieur,
bien que le mot lui-même indique qu'il s'applique à quelque
chose d'intérieur; car ce qui m'incombe, non pas comme à un
individu accidentel, mais d'après ma vraie nature, est bien le
rapport le plus intime avec moi-même. Le devoir n'est pas une
consigne, mais quelque chose qui incombe. Si un individu regarde
ainsi le devoir, cela prouve qu'il s'est orienté en lui même.
Alors le devoir ne se démembrera pas pour lui en une quantité de
dispositions particulières, ce qui indique toujours qu'il ne se
trouve qu'en un rapport extérieur avec lui. Il s'est revêtu du
devoir, qui est pour lui l'expression de sa nature la plus intime.
Ainsi orienté en lui même, il a approfondi l'éthique; il ne
sera pas essoufflé en faisant son possible pour remplir ses
devoirs. L'individu vraiment éthique éprouve par conséquent de
la tranquillité et de l'assurance, parce qu'il n'a pas le devoir
hors de lui, mais en lui. Plus un homme a fondé profondément sa
vie sur l'éthique, moins il sentira le besoin de parler
constamment du devoir, de s'inquiéter pour savoir si il le
remplit, de consulter à chaque instant les autres pour le connaître
enfin."
Kierkegaard.
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= Nous
nous trouvons bien embarrassés si quelqu'un vient nous
dire: que dois-je faire?
En effet, la liberté et l'obligation implique que ce soit
le sujet qui décide que cela lui incombe (pèse sur lui) en
tant que sujet. Autant dire que le devoir est toujours de
l'ordre d'une intériorité.
Un
jeune homme est venu demander à Sartre: que dois-je faire?
M'occuper de ma mère qui est malade ou entrer dans la
résistance?
Qu'aurions-nous répondu à la place de Sartre? Faites ce
que vous voulez?
Cela signifie que le devoir n'est pas une consigne
militaire, venue de l'extérieur que l'on devrait suivre
comme une contrainte: c'est bien au contraire le résultat
d'une subjectivité libre. Celui qui fait son devoir agit en
fonction de son moi, du meilleur de lui même.
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= Lisons
le texte ensemble:
curieux: étrange,
bizarre, inattendu: cela fait problème parce que cela semble
contradictoire de présenter le devoir comme quelque chose
d'extérieur qui s'imposerait à l'homme. Or le devoir n'est pas
une contrainte mais une obligation qui fait appel à la liberté,
à l'intériorité de l'homme.
devoir:
lorsque je dis je dois, je me sens obligé, c'est à dire
libre de m'imposer à moi même une action ou une conduite. Le
devoir concerne donc l'intimité du sujet et ne saurait suivre des
consignes venues de l'extérieur. Autrement dit le mot devoir
implique un choix du sujet, un acte du vouloir éclairé par une
balance intérieure, un dialogue intérieur entre lui et lui.
C'est en effet le sujet qui, seul peut se dire: tu dois.
ce
qui incombe: terme essentiel
dans ce texte: ce qui relève de moi, ce qui pèse sur moi, ce qui
m'oblige aussi, ce qui ne se délègue pas.
d'après
ma vraie nature:
d'après ce qui fait que je suis ce que je suis, d'après la
liberté de l'individu qui se retrouve dans tous les hommes: ce
n'est pas accidentel, c'est essentiel. Si la liberté disparaît,
l'homme disparaît. Perdre ce qui est par essence, c'est
disparaître.
rapport
intime: rapport de moi même
à moi même au plus profond de moi, qui n'a rien à voir avec la
sphère publique. C'est une relation. Le que dois je faire
me concerne dans ce que j'ai de plus profond et il me revient de
décider.
consigne:
ce n'est pas une prescription stricte comme celle qui serait
donnée à un militaire.
qui
incombe: dont l'exercice me
revient à moi seul et qui relève donc de mon intériorité.
individu:
un moi individuel et libre. En ce sens il est unique
regarde:
considère que le devoir lui incombe.
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Joseph Llapasset ©
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