"On pose la
question de savoir si l'homme est par nature moralement bon ou
mauvais. Il n'est ni l'un ni l'autre, car l'homme par nature n'est
pas du tout un être moral, il devient un être moral que lorsque
sa raison s'élève jusqu'aux concepts du devoir et de la loi. On
peut cependant dire qu'il contient en lui-même à l'origine des
impulsions menant à tous les vices, car il possède des penchants
et des instincts qui le poussent d'un côté, bien que la raison
le pousse du côté opposé. Il ne peut donc devenir moralement
bon que par la vertu, c'est-à-dire en exerçant une contrainte
sur lui-même, bien qu'il puisse être innocent s'il est sans
passion.
La plupart des vices naissent de ce que l'état de culture fait
violence à la nature et cependant notre destination en tant
qu'hommes est de sortir du pur état de nature où nous ne sommes
que des animaux."
ABOUT, Pierre- José ( 1981) : Kant, Traité
de pédagogie, introduction et notes, Paris, Hachette. (page
79)
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= Quelle
différence y a-t-il entre celui qui est contraint à ne pas
copier et celui qui se contraint lui même?
Ce qui
serait "par nature", nous le suivrions tous, selon
la remarque de Montaigne. Ce serait une nécessité et nous
n'aurions pas le choix (par exemple, le réflexe pupillaire
quand on approche une source lumineuse de notre oeil.)
Dans ces conditions, dire que l'homme est mauvais pas
nature, c'est considérer l'homme dans l'espèce, dans ce
qui le détermine et le contraint. Il y a donc une grande
différence entre être contraint et se contraindre: entre
celui qui est contraint de ne pas copier par une discipline
exercée par la proximité d'un surveillant et celui qui se
contraint à ne pas copier, obéissant à la loi qu'il s'est
prescrite, poursuivant l'idée de justice, il y a l'infini
d'une liberté. L'un reçoit sa loi de l'extérieur
(hétéronomie), l'autre se donne sa loi à lui même
(autonomie).
On remarquera, et cela permettra de comprendre le texte, que
la discipline impose une culture qui fait violence à la
nature, mais que c'est pour donner à l'enfant des
habitudes humaines.
Ainsi la politesse nous habitue à réprimer nos réactions.
Ce faisant, elle nous humanise, mais elle peut aussi,
remarque Kant, nous orienter vers les vices, vers l'habitude
de dissimuler, vers le mensonge et l'hypocrisie: le vice est
une manière habituelle de faire ce qui est mauvais, de
faire passer les passions avant la raison.
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= Lisons
le texte ensemble:
par
nature: déterminé par un
donné naturel intérieur; prescrit à l'homme en tant qu'espèce.
moralement:
du point de vue du bien et du mal. Du point de vue de la morale
qui prescrit des règles idéales de conduites.
ni
l'un ni l'autre: ni
bon ni mauvais
par
nature: notez la
répétition. Par ce que prescrit sa nature.
par
du tout: absolument pas.
C'est le développement de la raison et celui des passions qui le
rendra capable de faire passer la raison avant les passions: c'est
à dire de devenir un être moral. Le moral sera la voix de la
raison.
l'élever:
le faire grandir, lui donner sa dignité, la liberté morale.
concepts:
ce qui a une définition rigoureuse, ce qui a une règle qui
permet de le construire.
devoir:
désigne la morale personnelle, l'impératif catégorique auquel
on doit obéir par respect de la loi morale.
loi:
Ici, pris au sens général: la loi est un être de raison. Forme
d'une conduite dictée à l'homme par sa conscience et prescrite
comme obligatoire. L'homme la suit librement. On distinguera bien
l'obéissance à la loi qui est liberté et la contrainte qui est
servitude. Dans la morale personnelle, comme dans la cité, il n'y
a pas de liberté sans lois.
cependant:
ici, signifie malgré ce qui vient d'être dit.
contient
en lui même: par nature
impulsion:
de la force qui le pousse, sans pour cela le déterminer, s'il
s'est élevé au concept du devoir et de la loi.
vice:
une manière habituelle de faire le mal.
penchants:
inclinations à
instinct:
comportement déterminé par la nature.
d'un
côté: du côté du mal, de
ce qui est mauvais
côté
opposé: du côté de ce qui
est bon.
ne
... que: seulement
devenir:
terme important. Faire passer à l'acte ce qui n'était qu'en
puissance. Devenir autre que ce qu'il est pas nature, accéder à
la moralité et donc devenir responsable du bien et du mal qu'il
accomplit.
moralement:
du point de vue moral
vertu:
capacité de donner la priorité à l'universel de la raison sur
les appétits particuliers, de faire passer la raison avant les
passions.
contrainte
sur lui même:
"L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est
liberté." Rousseau
être
innocent: l'innocent est
celui qui ne connaît pas le bien ou le mal: celui dont les
passions sont en puissance: on pourrait dire qu'elles sommeillent.
l'état
de culture: (voir
l'introduction) le développement culturel fait violence à la
nature, la contraint comme dans la politesse. Il y a un
inconvénient c'est que la politesse peut dégénérer en vice:
mensonge, hypocrisie...
cependant:
malgré cela.
notre
destination: notre fin, ce à
quoi nous sommes destinés.
sortir:
aller hors de, nous éloigner.
pur
état de nature: sans mélange de culture.
ne
... que: rien que.
animaux:
ceux qui sont conduits par des instincts, qui n'ont ni liberté,
ni responsabilité.
Comprendre
que: l'homme a la possibilité de se corrompre, mais qu'il
n'est pas foncièrement corrompu.
Kant veut à tout prix sauver la liberté et la responsabilité.
Dans l'éducation, l'autorité diminuera au profit de la liberté
et de l'autonomie. On pourra opposer cela au naturel philosophe de
Platon: regardons les enfants jouer, nous verrons tout de suite
des différences naturelles. L'un triche volontiers l'autre pas.
=> Ce texte
est tiré du Traité de pédagogie: bien que, aucune
connaissance ne soit requise pour l'étude de texte, vous avez
tout intérêt à lire cette page: Kant,
Traité de pédagogie.
Bonne
continuation.
Joseph Llapasset
©
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