"On dit
volontiers: ma volonté a été déterminée par ces mobiles,
circonstances, excitations et impulsions. Cette formule implique
que je me suis comporté de façon passive. Mais, en réalité,
mon comportement n’a pas été seulement passif: il a été
actif aussi, et de façon essentielle, car c’est ma volonté qui
assume telles ou telles circonstances comme mobiles, qui les fait
valoir comme mobiles. Il n’y a pas de place ici pour la relation
de cause à effet. Les circonstances ne jouent pas le rôle de
cause, et ma volonté n’est pas l’effet de ces circonstances.
La relation de cause à effet implique que ce qui est contenu dans
la cause en suive nécessairement. Or, par ma réflexion, je peux
aller au-delà des déterminations posées par les circonstances.
Quand un homme allègue qu’il a été entraîné par des
circonstances, des excitations, etc, il entend rejeter, pour ainsi
dire, sa propre conduite hors de lui-même; il se réduit ainsi à
l’état d’être non-libre, purement naturel, alors que sa
conduite, en vérité, est toujours sienne, non celle d’un autre
ni l’effet de quelque chose d’extérieur à lui. Les
circonstances ou mobiles n’ont jamais sur l’homme que le
pouvoir qu’il leur accorde lui-même."
Hegel, Propédeutique Philosophique, 1810..
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= "C'est
plus fort que moi! Si vous étiez à ma place, vous ne
feriez pas mieux." On sait très bien que celui qui
parle ainsi veut se décharger de sa responsabilité sur des
réactions naturelles ou sur des circonstances propres à
telle ou telle situations.
Comme si les forces qui s'exercent sur nous pouvaient
quelque chose contre notre volonté, contre nos décisions.
Ainsi, je ne suis pas fatigué au point de ne plus avancer,
je me déclare fatigué, je donne à ma fatigue une valeur
telle que je ne puis que la subir. J'ai accordé un pouvoir
à la fatigue, j'ai décidé de la valeur de la fatigue, en
fait, j'ai décidé de la subir. Pourtant il ne tenait qu'à
moi de poursuivre ma route et de faire de ma fatigue un
tremplin pour un exploit! |
= Lisons
le texte ensemble:
on
dit: il s'agit d'une
opinion sur laquelle l'auteur va exercer sa réflexion.
ma
volonté: ma possibilité de
délibérer de décider et d'exécuter ce que j'ai décidé.
déterminée:
poussée par un processus causal antécédent, comme si quelque
chose de physique, de naturel, pouvait pousser quelque chose de
spirituel.
mobile:
ce qui pousserait à agir, mobile sensible ou affectif. A
distinguer de motif: raison d'ordre intellectuel d'agir
circonstances:
ce qui accompagne une situation: étant donné cela, j'ai été
forcé de m'y plier.
excitation:
j'ai été excité, j'ai été emporté par un désir qui m'a
surpris et entraîné irrésistiblement.
cette
formule: "ma volonté a
été déterminée"
implique:
comporte de manière implicite ou entraîne comme conséquence que
mon comportement a été passif.
passive:
j'ai subi une action qui m'a déterminé.
mais:
Hegel marque son opposition à l'opinion.
en
réalité: dans ce qui s'est
passé réellement passé: j'ai été actif, je n'ai pas été
simplement passif car ma passivité, je l'ai choisie en élevant
librement telle ou telle circonstance au rang de mobile. J'ai
donné aux circonstances la valeur d'un mobile. Pour ainsi dire,
j'ai décidé librement d'être passif.
il
n'y a pas de place: Hegel est
formel: il ne saurait y avoir ici, quand il s'agit de la volonté
place pour un déterminisme physique.
la
relation de cause à effet: un déterminisme qui explique
par un jeu de forces physiques sans faire appel à l'esprit.
les
circonstances: ce ne sont pas
des causes, elles n'ont pas la même fonction que des causes.
ma
volonté: Hegel répète pour
insister: elle est mienne, elle ne saurait donc être l'effet de
simples circonstances. Le bateau coule, le capitaine décide de
partir ou de rester. Ce ne sont donc pas les circonstances qui
déterminent son choix mas le sens qu'il donnera aux
circonstances.
=> Pourquoi
cela? Parce que dans le déterminisme, tout ce qui est dans la
cause se déroule nécessairement, sans que cela puisse être
autrement. Dans le cas de la volonté, le choix peut toujours
être autre: on fuit ou on reste.
réflexion:
le retour de l'esprit sur ce qui semble s'imposer à moi.
aller
au delà: dépasser et donc
être actif
détermination:
ce qui agit sur moi en fonction des circonstances.
alléguer:
présenter comme une excuse.
entraîné:
poussé nécessairement à telle ou telle réaction.
rejeter:
projeter hors de lui, attribuer son comportement à autre chose
qu'à sa décision libre.
se
réduit: se ramène à la
simplicité d'un déterminisme naturel: celui qui rejette, se nie
comme volonté libre, se simplifie à l'extrême, mais en
affirmant cela il continue à exercer sa volonté.
être
non libre: comme une chose
matérielle qui est poussée de côté ou d'autre par une
tempête.
purement:
sans mélange de spiritualité.
alors
que: en réalité ...
sa
conduite: sa manière de se
comporter, ce qu'il fait.
toujours
sienne: c'est à dire,
toujours voulue pas lui, relevant de lui comme je pense et je
veux.
d'un
autre: le responsable c'est
lui et personne d'autre.
extérieur:
les circonstances extérieures, par exemple.
=> La
dernière phrase ramasse en une formule choc ce que l'auteur vient
d'établir. Les circonstances tiennent leur pouvoir, du pouvoir
que l'homme a bien voulu leur accorder. Libre à lui de choisir
d'être passif et déterminé ou d'être actif et de se conduire
en être libre.
Bonne
continuation
Joseph Llapasset
©
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