"Inversement,
s'écoulant dans le lit plus paisible du bon sens, la philosophie
naturelle produit au mieux une rhétorique de vérités triviales.
Lui reproche-t-on son insignifiance elle assure au contraire que
le sens et la. plénitude, se trouvent dans son cœur, et doivent
aussi se trouver dans le cœur des autres, croyant avoir prononcé
l'ultime parole en parlant de l'innocence du cœur et de la pureté
de la conscience, contre quoi on ne peut rien objecter et au-delà
de quoi on ne peut rien demander. Cependant,
ce qu'il fallait faire, c'était ne pas laisser le meilleur à
l'intérieur, mais le tirer du puits pour l'exposer au jour. On
pouvait s'épargner depuis longtemps la peine de produire ces vérités
ultimes, car elles se trouvent de longue date dans le catéchisme,
dans les proverbes populaires, etc. - Il n'est pas difficile de
saisir l'indétermination et la torsion de telles vérités, et même
de montrer à la conscience qu'elle contient en elle-même les vérités
diamétralement opposées. Mais une
conscience ainsi acculée et s'efforçant de sortir de cette
confusion, tombera dans de nouvelles confusions, et en viendra
finalement à dire énergiquement que les choses sont
indiscutablement ainsi et ainsi et que le reste, ce sont des
sophismes - un mot de passe du sens commun contre la raison cultivée,
comme par l'expression de rêveries, l'ignorance philosophique a
caractérisé la philosophie une fois pour toutes."
Hegel Phénoménologie
de l'Esprit, Préface
=======================
= Les
choses belles sont difficiles disait Platon.
La découverte d'un texte philosophique par des lycéens
s'accompagne souvent d'un effarement. "Je le lis, je n'y
comprends rien."
C'est que,
si au cours d'un apprentissage, la difficulté s'estompe
grâce aux exercices et à la mise en place des habitudes,
au contraire, lorsqu'il s'agit de l'acte de philosopher
(penser par soi même avec ceux qui pensent), la démarche
semble de plus en plus difficile!
Et rien ne sert d'aspirer à un professeur qui expliquerait
bien, car rien ne peut faire l'économie de l'effort à
fournir: la pensée ne se délègue pas.
En conséquence, si vous éprouvez une stupeur devant ce
texte de Hegel, vous devez être inquiet et rassuré. Inquiet,
dans la mesure où sa compréhension dont dépend la
réussite de votre devoir exigera un effort. Elle ne sera
pas naturelle, donnée.
Mais aussi, vous devez être rassuré, car, en ayant saisi
la difficulté, vous allez pouvoir la surmonter: vous entrez
en philosophie.
C'est que la connaissance philosophique n'est pas ce que le
bon sens vous dit, ni même ce que le sentiment vous fait
éprouver: ce n'est pas une connaissance donnée
immédiatement. C'est le couronnement d'une dure tâche
conceptuelle pour comprendre ce qui est.
|
= Lisons
le texte ensemble:
Inversement: face
à cela. Hegel vient de critiquer ce qu'on pourrait appeler la
philosophie mystique des profondeurs: elle s'appuie sur le génie,
une inspiration divine exprimée par la profondeur d'un sentiment.
Cela permet de dire à quelqu'un: je ne vais pas perdre mon temps
à te dire le sens de mon affirmation, puisque, si tu rentres en
toi-même, tu me comprendras.
En 1807, Hegel a rompu avec le romantisme et cherche plutôt à
comprendre ce qui est, sachant bien qu'il n'y a rien à comprendre
à ce qui est éprouvé.
s'écoulant:
remarquez que la philosophie naturelle est un fluide, elle n'a pas
la consistance que donnent les bonnes définitions, les concepts
bien déterminés. Elle se laisse aller au moindre effort et aux
rêveries.
bon
sens: ce qui paraît
évident, ce qui semble être donné. Il s'agit d'une raison
naturelle, faculté de distinguer le vrai du faux, partagée par
tous. Elle permet d'affirmer sans effort, immédiatement. Elle
permet de juger sans pour cela que le jugement soit justifié en
raison par rapport à ce qui est.
plus
paisible: plus rassurant, moins tourmenté que les sentiments du génie de la philosophie
mystique dont Hegel vient de traiter avant le début de ce texte.
la
philosophie naturelle: la
manière de philosopher en fonction de ce qui est donné, des
expériences sensibles et du bon sens (sentiment, intuition, tout
ce qui rejette l'effort de la conceptualisation).
une
rhétorique: un discours
oratoire qui sacrifierait la sincérité et la vérité, avant
soucieux de persuader: la rhétorique multiplie les appels aux
sentiments et à l'intuition par des déclarations enflammées.
vérités
triviales: vérités banales,
lieux communs que l'on retrouve chez tous, même au café du
Commerce.
lui
reproche-t-on: si on lui fait
ce reproche, si on souligne son insignifiance.
l'insignifiance:
l'absence d'intérêt de leur rhétorique: en effet, à quoi bon
dire ce que chacun éprouve ou connaît par l'expérience
sensible.
assure:
la philosophie naturelle est le lieu de l'opinion: on la
reconnaît à ce qu'elle affirme toujours la vérité de ce
qu'elle affirme sans pouvoir le justifier par des concepts, ce qui
permettrait de comprendre ce qui est.
Page
1 - page 2 -
page 3
Joseph Llapasset
©
|