"L'indifférence
me semble signifier proprement l'état dans lequel se trouve la
volonté lorsqu'elle n'est pas poussée d'un côté plutôt que de
l'autre par la perception du vrai ou du bien ; et c'est en ce sens
que je l'ai prise lorsque j'ai écrit que le plus bas degré de la
liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour
lesquelles nous sommes indifférents. Mais peut-être d'autres
entendent-ils par indifférence la faculté positive de se déterminer
pour l'un ou l'autre de deux contraires, c'est-à-dire de
poursuivre ou de fuir, d'affirmer ou de nier. Cette faculté
positive, je n'ai pas nié qu'elle fût dans la volonté. Bien
plus, j'estime qu'elle s'y trouve, non seulement dans ces actes où
elle n'est poussée par aucune raison évidente d'un côté plutôt
que de l'autre, mais aussi dans tous les autres ; à tel point
que, lorsqu'une raison très évidente nous porte d'un côté,
bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère choisir le
parti contraire, absolument parlant, néanmoins, nous le pouvons.
Car il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un
bien clairement connu ou d'admettre une vérité évidente, pourvu
que nous pensions que c'est un bien d'affirmer par là notre libre
arbitre"
Texte
de Descartes: Lettre au père Mesland
=======================
= Lisons
paisiblement ce texte ensemble.
1-
L'indifférence au sens propre: pourquoi elle est le degré de
liberté le plus bas?
L'état: ce n'est pas l'acte d'une volonté éclairée par
une connaissance, mais un état, pour ne pas dire une passion, une
manière d'être de la volonté, qui manque de connaissance.
poussée: elle n'est pas inclinée, orientée vers le vrai
ou le bien qu'elle percevrait.
par: sous l'effet de
La perception du vrai ou du bien: la connaissance.
le plus bas degré: le premier degré. Bas est péjoratif,
il n'y a rien de plus bas que l'état d'indifférence.
nous nous déterminons: nous prenons la décision
d'affirmer.
aux: en ce qui concerne.
les choses: ce qui ne nous pousse pas d'un côté ou d'un
autre, ce qui nous laisse indifférent.
2-
Mais: il y a un autre sens, une autre acception.
d'autres: que moi
entendent-ils: donnent-ils un autre sens au terme
indifférence.
faculté: ce n'est plus un état.
positive: elle est active, et ce n'est plus une passion.
se déterminer: prendre la décision de... La liberté est
pouvoir de dire oui ou non, choisir entre deux contraires.
poursuivre ou fuir: dans le domaine moral du bien et du
mal: que dois-je faire?
d'affirmer ou de nier: dans le domaine de la connaissance.
Que puis-je savoir?
dans la volonté: impliqué dans l'acte volontaire
dans ces actes: ceux où elle n'est pas poussée, conduite
nécessairement à dire oui ou non, ce qui n'est pas le cas dans
"ces actes".
raison: désigne un principe d'explication.
évidente: qui s'impose à l'esprit. Par exemple "il
verra par raison évidente", d'une évidence rationnelle.
mais aussi: la faculté positive se trouve aussi dans tous
les actes de la volonté, ce qui comprend même les actes où la
volonté est poussée par raison évidente. Même dans ce cas, la
volonté n'est pas déterminée par la raison évidente, c'est
elle qui se détermine. Là où la raison évidente la pousse à
dire oui, elle peut très bien se déterminer autrement pour une
raison morale par exemple, ou simplement pour prouver que sa
liberté est absolue: alors même qu'une raison évidente nous
conduirait à une option...On peut vouloir le mal.
moralement parlant: d'un point de vue moral, ce serait une
faute de choisir l'erreur ou de dire que ce qui est mal est bien.
C'est cependant possible à une liberté absolue.
le parti contraire: dire le contraire de ce que nous voyons
par raison évidente.
néanmoins: malgré le point de vue moral, nous pouvons
choisir le parti contraire, c'est à dire affirmer le contraire de
ce que nous connaissons être la vérité ou le bien.
possible: cette capacité c'est notre libre arbitre qui
nous le donne.
retenir: ne pas nous laisser emporter par une raison
évidente.
poursuivre: de nous porter vers un bien ou vers le vrai.
clairement connu: que nous savons être un bien.
admettre: affirmer une vérité comme vérité qui s'impose
à l'esprit.
pourvu que: à la condition.
Si nous considérons que c'est un bien d'affirmer l'existence de
notre libre arbitre en allant contre le vrai et le bien.
Si
Descartes affirme que l'indifférence est le plus bas degré
de liberté c'est que l'état d'indifférence fait
apparaître un défaut de la connaissance: celui qui aurait
la connaissance claire et distincte de ce qui est vrai et
bien, n'aurait même pas à délibérer. Il serait
entièrement libre sans jamais être indifférent. Sa
liberté serait éclairée par la connaissance du vrai et du
bien.
On comprend alors que pour Descartes la morale est
provisoire jusqu'à ce qu'on puisse la déduire d'une
science universelle constituée.
Un jour la science nous dira ce que nous devons faire, selon
Descartes. |
Bon travail
Bonne continuation
Joseph Llapasset ©
|