"Aucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l'ordre des faits naturels, ne tient de plus près à la famille des idées religieuses que l'idée de progrès, et n'est plus propre à devenir le principe d'une sorte de foi religieuse pour ceux qui n'en ont plus d'autre. Elle a, comme la foi religieuse, la vertu de relever les âmes et les caractères. L'idée du progrès indéfini, c'est l'idée d'une perfection suprême, d'une loi qui domine toutes les lois particulières, d'un but éminent auquel tous les êtres doivent concourir dans leur existence passagère. C'est donc au fond l'idée de divin; et il ne faut point être surpris si, chaque fois qu'elle est spécieusement évoquée en faveur d'une cause, les esprits les plus élevés, les âmes les plus généreuses, se sentent entraînés de ce côté. Il ne faut pas non plus s'étonner que le fanatisme y trouve un aliment, et que la maxime qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l'excellence de la fin justifie les moyens, corrompe aussi la religion du progrès."

Freud.
=======================

=  Lisons le texte ensemble: (suite)

les âmes: l'inspiration, le souffle qui est en chacun.

caractère: ensemble des manières habituelles de sentir et de réagir propre à chaque individu.

l'idée: Cournot insiste et répète très souvent le terme: si c'est une idée, c'est un idéal, ce n'est pas une réalité ou un concept.

indéfini: dont les limites ne peuvent être déterminées et donc qui ne peut qu'enthousiasmer l'homme désespéré de sa finitude, de ce qui le limite.

perfection suprême: l'idée du divin et de ce qui correspond à un projet divin. 

loi: ici il s'agit de la main divine qui appelle.

domine: régente, est au dessus de ... 

lois particulières: les lois de la nature.

but: fixé par la perfection divine

éminent: d'ordre supérieur

doivent: cela devient un devoir de participer à l'élan du progrès car on épouse le projet divin.

l'idée de divin: l'idée de ce qui relève d'un Dieu.

pas surpris: seul celui qui ne réfléchit pas peut s'étonner: en réalité, il n'y a pas de raison de s'étonner: c'était prévisible, déductible en fonction de l'idée de progrès qu'on finisse par justifier les moyens les plus épouvantables, la sélection par exemple, en invoquant l'idée de progrès.

la générosité: on leur fait croire qu'il s'agit de défendre une cause juste, la cause de l'humanité.

les esprits les plus élevés:  l'esprit est le principe de la pensée et de la réflexion, de ceux qui s'élèvent par la pensée en utilisant la raison.

les âmes: les subjectivités qui sont uniques.

généreuses: charitables parce qu'elles ont un grand cœur.

sentent: c'est le sentiment qui motive, ce n'est pas la froide raison.

de ce côté: du côté de l'idée de divin.

fanatisme: consiste à prétendre à avoir la vérité: toutes les lois particulières sont dominées par la loi divine.

aliment: ce qui nourrit le fanatisme, ce qui lui permet de justifier les bombes: cela sert le progrès de l'humanité.

maxime: c'est une règle de conduite.

tend: se rapproche d'un but.

corrompre: altérer, rendre autre en éloignant d'un état premier.

toutes: sans exception

la maxime: puisque ce qui compte c'est le progrès, la volonté de Dieu, ce qui importe c'est d'atteindre la fin que Dieu veut, de concourir au progrès quoiqu'il en coûte. Tous les sacrifices concourent à la réalisation d'un projet divin. Même le sacrifice de la vie ou celle du sacrifice humain.

la religion du progrès: la pensée de Cournot apparaît clairement: l'idée de progrès est devenue une religion parce qu'on a érigé l'idée en réalité absolue et tyrannique.

page 1 et page 2

Bonne continuation

Joseph Llapasset