"Le mot
Philosophie, pris dans son sens le plus vulgaire, enferme
l'essentiel de la notion. C'est aux yeux de chacun, une évaluation
exacte des biens et des maux ayant pour effet de régler les désirs,
les ambitions, les craintes et les regrets. Cette évaluation
enferme une connaissance des choses, par exemple s'il s'agit de
vaincre une superstition ridicule ou un vain présage ; elle
enferme aussi une connaissance des passions elles-mêmes et un art
de les modérer. Il ne manque rien à cette esquisse de la
connaissance philosophique. L'on voit qu'elle vise toujours à la
doctrine éthique, ou morale, et aussi qu'elle se fonde sur le
jugement de chacun, sans autre secours que les conseils des sages.
Cela n'enferme pas que le philosophe sache beaucoup, car un juste
sentiment des difficultés et le recensement exact de ce que nous
ignorons peut-être un moyen de sagesse ; mais cela enferme que le
philosophe sache bien ce qu'il sait, et par son propre effort.
Toute sa force est dans un ferme jugement, contre la mort, contre
la maladie, contre un rêve, contre une déception. Cette notion
de la philosophie est familière à tous et elle suffit"
Alain, 81 chapitres sur l’esprit et les passions, Gallimard,
La Pléiade, p. 1072.
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= A
nous tous, élèves et enseignants, il nous est arrivé de
reculer devant un texte qui nous semblait être une
forteresse imprenable et de dire: "Je n'y comprends
rien".
Ah, si vous avions lu ce texte du philosophe Alain: "C'est
dans le langage que se trouvent les idées."
Le mot philosophie contient le sens, la signification et
l'orientation: il suffit à celui qui veut comprendre
l'essentiel de la notion.
A nous, dans une dissertation ou dans une étude de texte,de
chercher le sens là où il se trouve et de toujours
commencer par les définitions.
Qu'est-ce que la philosophie? Alain nous recommande de nous
tourner vers le mot: nous en déduirons (= extraire de) tout
ce qu'il nous faut pour répondre à la question: ce que
cela est que la philosophie. On comprend qu'en ce début
d'année ce texte va nous encourager à penser par nous
même: il nous permet en effet de comprendre pourquoi nous
ne comprenons pas: nous cherchons ailleurs que dans les
définitions. Il nous apprend donc comment on peut
comprendre un texte: en cherchant la notion dans le mot. |
= Lisons
le texte ensemble:
philosophie: sophia: la sagesse -
philo: le désir, l'amour, l'amitié. Amour signifie ici désir et
chasse amoureuse de la vérité et de la justice. Les deux étant
inséparables car la conscience, l'intelligence qui mène cette
quête est toujours à la fois psychologique et morale.
Par exemple, faire attention, c'est à la fois mettre au foyer de
la conscience la même représentation psychique, mais c'est aussi
... faire un effort moral constant pour éviter les distraction !
sens:
il s'agit bien de trouver la notion dans le sens.
vulgaire:
ici le terme n'est pas péjoratif. En latin, vulgus c'est la
foule: vulgaire signifie ici commun à tous ceux qui ont du bon
sens. Le terme est pris au sens de: ce qui est partagé par tous.
l'essentiel:
ce qui appartient à l'essence de la notion, ce qui la définit,
ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est.
notion:
l'idée de la philosophie, sa forme intellectuelle qui permet de
la reconnaître et de la penser.
de
chacun: Alain insiste et reprend "vulgaire".
évaluation:
c'est la mesure, la fixation d'un prix, d'une valeur. Par exemple:
que vaut le plaisir, quelle sorte de bien nous apporte-t-il? Ou
encore: que vaut la passion, quelle sorte de maux apporte-t-elle?
Ou encore: Le désir exige-t-il une régulation, un ordre? Vaut-il
mieux changer ses désirs que l'ordre du monde?
régler:
soumettre à une règle, ordonner, maîtriser.
désirs
... regrets : ces termes ont
pour caractéristiques d'être vécus psychologiquement comme ce
qui s'impose, ce avec quoi il "faut faire" dans la vie.
La philosophie qui ne déboucherait pas sur la vie que nous vivons
ne mériterait pas une heure d'étude.
En effet, ce qui nous intéresse c'est ce qui nous accompagne
nécessairement, ce qu'on ne peut quitter en changeant de
trottoir. Par exemple, celui ne désirerait plus ne vivrait plus.
Celui qui n'aurait ni regret, ni crainte, ni projet (ambition)
n'aurait tout simplement pas conscience: il serait inconscient.
Bergson nous dit que toute conscience est mémoire et
anticipation. Désir, ambition, crainte et regret sont des
mouvements de la conscience vers le passé ou vers l'avenir. Évidemment
celui qui perd conscience n'en a plus, mais à quel prix!
enferme:
terme qui revient souvent. Il signifie: contient, exige, implique.
connaissance
des choses: connaissance des choses sur lesquelles on
réfléchit, de ce dont il s'agit. Par exemple: pour Épicure, la
peur des dieux n'est qu'une opinion, une croyance vaine. La
connaissance des dieux nous en débarrasse: les dieux étant
parfaits ne désirent pas et sont indifférents. De même, pour la
crainte de la mort, puisque la mort est privation de conscience.
Pourquoi craindre ce qui ne sera pas pour nous, ce que nous ne
vivrons pas.
superstition:
expliquer des effets naturels par des instances supranaturelle: la
connaissance des causes naturelles fera disparaître la
superstition. Par exemple, la foudre n'est plus la colère d'un
dieu si on connaît le déterminisme de sa production.
ridicule:
qui prête à rire pour celui qui s'avance armé de la raison. Par
exemple, Guillaume de Baskerville dans le film "Le nom de la
rose."
connaissance
des passions: passion est ici pris en son sens négatif: ce
qui aliène, ce que l'on souffre sans savoir pourquoi. Selon le
rationaliste Alain la connaissance nous en libèrerait.
il
ne manque rien: vous comprenez si vous avez en mémoire
"enferme l'essentiel" et "elle suffit".
esquisse:
premier tracé qui sert de guide à des explicitations et des
développements.
vise:
toute conscience est aussi morale. La connaissance philosophique
est toujours un chemin vers une sagesse, une morale personnelle ou
une éthique sociale.
les
conseils des sages: grâce à nos lectures, celle que nous
faisons ensemble de ce beau texte d'Alain. Sénèque par la
lecture des grands sages du passé est heureux d'en recevoir les
conseils.
n'enferme
pas: n'implique pas.
sache
beaucoup: Alain pense à Socrate qui répétait: je sais
que je ne sais rien.
recensement
des difficultés: le philosophe est celui qui fait jaillir
le problème. C'est ce que vous devez faire dans vos
dissertations. Il n'est donc jamais d'aucun parti. Il y a toujours
un petit caillou dans sa chaussure qui l'empêche d'adhérer.
Alain remarque que ce sont les huîtres qui adhèrent. C'est
l'opinion qui adhère. Parfois, la démarche philosophique
n'aboutit pas, elle semble sans issue. On dit qu'elle est
aporétique. Ce n'est pas un défaut dans une dissertation.
recensement:
repérage et inventaire détaillé de ce que nous connaissons, ce
sur quoi nous pouvons nous appuyer et de ce que nous ignorons.
moyen
de sagesse: le moyen de ne pas s'embarquer à la légère
dans un terrain inconnu, de ne pas avancer en aveugle.
enferme:
contient. Il s'agit toujours de la notion dans le mot
philosophique, la déduction continue.
sache
bien: sache complètement, parfaitement ce sur quoi il
porte un jugement. Par exemple, Kant restreint le champ de la
connaissance, mais c'est pour le mieux assurer.
force:
celle du philosophe.
jugement:
terme essentiel. Ce qui termine un enquête, une décision
éclairée sur ce que cela est ou du moins sur ce que cela n'est
pas. Exemple: la mort n'est rien pour nous; il y a un bon usage de
la maladie; le rêve n'est que fumée, il n'annonce rien.
notion:
l'idée de la philosophie, ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est
et permet de la reconnaître: il vient de la déduire du mot.
à
tous: vulgaire ... chacun
elle
suffit: c'est la reprise du terme: "essentiel".
Bonne
continuation.
Joseph Llapasset
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