"La
conscience est le savoir revenant sur lui-même et prenant pour
centre la personne humaine elle-même, qui se met en demeure de décider
et de se juger. Ce mouvement intérieur
est dans toute pensée; car celui qui ne dit pas finalement:
"Que dois-je penser? " ne peut être dit penser. La
conscience est toujours implicitement morale; et l'immoralité
consiste toujours à ne point vouloir penser qu'on pense, et à
ajourner le jugement intérieur. On nomme bien inconscients ceux
qui ne posent aucune question d'eux-mêmes à eux-mêmes. Ce
qui n'exclut pas les opinions sur les opinions et tous les
savoir-faire, auxquels il manque la réflexion, c'est-à-dire le
recul en soi-même qui permet de se connaître et de se juger ; et
cela est proprement la conscience.
Rousseau disait bien que la conscience ne se
trompe jamais, pourvu qu'on l'interroge. Exemple : ai-je été lâche
en telle circonstance ? Je ne le saurai si je veux y regarder.
Ai-je été juste en tel arrangement ? Je n'ai qu'à m'interroger
; mais j'aime mieux m'en rapporter à d'autres."
ALAIN, Définitions
dans Les Arts et les Dieux.
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= Lisons
le texte ensemble: suite
toujours: Alain
insiste et reprend "toute", sans exception: dans tous
les cas. Sinon ce n'est pas la
conscience.
implicitement:
sans que cela soit explicité.
morale: la
conscience est toujours morale si elle pense: dans la mesure
exactement où la question que dois-je penser , sans
laquelle il n'y a pas la conscience, ouvre le champ de la
délibération.
=> Comprendre
qu'il n'y a pas de délibération possible sans conscience, il
faut en effet un examen de conscience par lequel la conscience
prend du recul, s'examine, ce qui lui permet de se juger.
Conscience psychologique et conscience morale sont alors la même
"chose". La conscience doit penser qu'elle pense, penser
ce qu'elle pense: c'est le savoir qui revient sur lui même. Cette
pensée sur la pensée permet le jugement et le choix de ce qui doit
être pensé: ce qui devient le devoir.
intérieur: dans
ce qu'on appelle le for intérieur de chacun.
inconscient: comme
ils ne pensent pas qu'ils pensent, ils ne s'interrogent pas, ce
qu'ils pensent ne leur appartient pas, ils en sont inconscients.
ce
qui n'exclut pas: repérer bien le sujet:
l'inconscient. Il concerne aussi les opinions dans lesquelles on
affirme sans savoir ce qu'on affirme, sans être capable de le
justifier par un examen. En fait, on ne sait pas ce qu'on dit.
savoir-faire: cela
concerne aussi les savoir faire, l'exécution mécanique d'un
mouvement d'où la conscience s'est retiré, on le fait
machinalement, on ne sait pas qu'on le fait au point qu'on se
demande si on l'a fait...
il
manque: aux opinions et
aux savoir-faire, il manque la conscience c'est à dire la
réflexion comme retour sur soi même du savoir: on sait que l'on
sait, on a conscience de ce que l'on pense et de ce que l'on fait.
Recul
en soi même: le savoir n'est pas prisonnier de lui
même. Grâce à un recul effectué dans l'intériorité, il peut
se regarder: c'est le dédoublement du sujet qui se regarde, se
connaît et se juge dans se pensées comme dans ses actions
représentées.
cela: ce
qui vient juste d'être dit: ce pouvoir de revenir sur soi. Le
cogito est toujours transparent à lui même.
proprement: à
proprement parler. C'est le terme propre pour désigner le recul
en soi même.
Rousseau: Alain
présente à l'appui de son propos une autorité philosophique:
Rousseau. Il l'arrange un tout petit peu à sa manière.
En effet ce que prône Alain c'est la pensée, la délibération,
l'examen de conscience, c'est à dire une activité pour
découvrir ce que je suis et ce que je dois faire. Si je suis
liberté, si mon intériorité se réduit à la conscience, la conscience
devient une tâche qui m'incombe.
Ce que dit
Rousseau, c'est que si on interroge la conscience, elle ne se
trompe jamais. Mais pour Rousseau, la conscience ce n'est pas
celle qui juge, mais le sentiment qui est donné par la nature
crée par Dieu. Ce n'est pas une connaissance: "je sens mon cœur
et je connais les hommes." Si la conscience ne se trompe
jamais, c'est qu'elle a en elle un instinct divin, un guide
assuré, même pour un être ignorant.
Il y a donc deux
manières d'interroger la conscience, l'interroger comme une
tâche à accomplir que certains n'accompliront pas et
l'interroger comme un instinct divin que les même les ignorants
peuvent consulter.
ai-je
été lâche: notez
qu'il s'agit toujours ici d'un effort de connaissance pour
répondre à une question morale.
si: je
ne le saurai qu'à la condition d'y regarder, c'est à dire de
revenir dessus ma conduite en la pensant intérieurement.
ai-je
été juste: est-ce que
ma conduite a été conforme à mon devoir. Ai-je respecteé la
personne avec qui j'ai conclu un contrat.
je
n'ai qu'à m'interroger: pour avoir la réponse, il
suffit que je revienne sur soi même sur mes intentions et sur mes
actes. (Cela suppose bien entendu la bonne foi et la sincérité
...)
j'aime
mieux: c'est la solution
de facilité quand on n'a pas le courage de l'effort et
d'affronter la vérité. J'ai été lâche, j'ai été injuste
parce que, je me suis laissé entraîner...
m'en
rapporter: utiliser des
tuteurs, prendre pour modèle.
d'autres: ainsi,
je me débarrasse de ma responsabilité. Pourtant on ne peut
chercher dans un autre moi une morale qui nous dispenserait
d'être à l'origine de nos pensées et de nos actes, d'en être
responsable.
=> Comprendre
que le moi est à faire, la conscience est une tâche qui est
à ma charge et que ce qui relève de moi ne peut être
délégué. Ma noblesse, ma dignité d'être libre, m'oblige
absolument.
Page
1 et page 2
Bonne
continuation
Joseph Llapasset
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